Stratégies – L’inéluctable culture du tiroir-caisse

Olivier Aubert

Le secrétaire général du Conseil de l’ordre [Gabriel Gaultier est secrétaire général du Club des directeurs artistiques] vient de frapper d’indignité nationale la campagne LCL-Le Crédit lyonnais. Pire, elle fonctionnerait bien, voire mieux que les précédentes au regard de vulgaires critères quantitatifs d’efficacité et serait donc amenée à durer (les derniers tests sont excellents, les résultats arrivent… au secours !). Ce mal-être de l’apprenti-artiste réduit à faire du commerce pour survivre est une exception bien française. La publicité est consubstantielle à la libre concurrence, et sa rationalité est de donner de la compétitivité aux entreprises. Vouloir faire entrer la publicité en résistance contre le capitalisme est la plus belle absurdité proférée depuis longtemps dans un microcosme qui n’en est pourtant jamais avare.

Le recours à l’art, aux créateurs, à la culture est un moyen pour rendre la publicité plus forte, mais seulement un moyen. Croire que la publicité a la culture pour finalité, c’est tomber dans le contresens absolu et ce n’est bon ni pour la culture ni pour la publicité. Vouloir investir la publicité d’une mission civilisatrice, éducative, culturelle, morale, relève de l’abus de souveraineté, du détournement de sens et avant tout du ridicule. Que la publicité s’occupe de faire réclamer les produits qu’elle doit promouvoir, son impact sur l’activité, la croissance et l’emploi n’en sera que plus fort.

À partir du moment où l’on considère que la publicité est d’abord un investissement économique, force est de lui imposer des critères d’évaluation rigoureux comme pour n’importe quel investissement. Le premier d’entre eux étant la sanction du tiroir-caisse.

Les escrocs expliqueront que la publicité ne peut s’évaluer que sur le très long terme, qu’il faut faire confiance, prier et surtout attendre. Les naïfs les croiront. Les conseilleurs, qui ne sont jamais les payeurs, développeront une argumentation sur les bienfaits culturels d’une campagne qui aura permis au corps social de progresser vers des lendemains qui chantent, à défaut de lendemains qui vendent.

La principale caractéristique de la publicité, c’est la répétition. Mais, pour pouvoir répéter, il faut pouvoir durer. Pour pouvoir durer, le paradoxe est qu’il faut convaincre tout de suite, car les exigences du temps économique ne sont pas celles du temps artistique. Il faut donc pouvoir se qualifier dès le premier essai.

Et la qualité dans tout ça ? C’est une donnée subjective et temporaire. Qui la définit ? Ceux qui s’autocélèbrent à longueur de jurys consanguins ? Le public qui plébiscite, ignore ou rejette les campagnes ? Ou les clients qui s’estiment seuls juges de la qualité de ce qu’ils achètent ? Asap a quelques convictions, à défaut de certitudes. Les créateurs sont au sommet dans l’échelle de la qualité artistique. Jean-Paul Goude, notre directeur artistique sur les Galeries Lafayette depuis cinq ans, est le plus grand DA de ce pays. En tout cas, il est un des rares à avoir dépassé les limites du 92 pour être reconnu dans le monde entier. Le secrétaire général du Club des DA se réclame de la direction artistique du BHV de ces dernières années, mais en comparaison de celle des Galeries Lafayette, nous vous laissons juges. Quant au client, puisqu’il s’agit du même pour les deux marques, nous connaissons sa réponse.

La qualité, c’est subjectif, mais cela peut s’objectiver dans la durée. Si une idée défie les années et les changements de management chez les clients, c’est sans doute qu’elle témoigne du talent. Il se trouve que toutes les idées d’Asap, et particulièrement celles d’Anne Storch, notre directrice de création, durent, durent, durent…

Nous comprenons le malaise que peuvent éprouver certains dans des agences devenues des usines à fabriquer de la peur, car cette profession est très dure pour l’homme et impitoyable avec l’employé. La paupérisation de la profession publicitaire française a entraîné un état général de précarité pour les gens qui y travaillent. La reconnaissance sociale excessive d’avant la loi Sapin a fait place à un climat de défiance contre une profession qui ne mérite ni cet excès d’honneur ni cet excès d’indignité.

Il faut réinventer totalement le modèle. Ceci ne se fera que de l’extérieur car la réforme est impossible dans un univers figé depuis si longtemps dans son malthusianisme. Nous sommes conscients de la chance que nous avons de faire ce métier comme on le fait, nous sommes fiers de la confiance de nos clients, pour lesquels il n’était pas évident au départ de quitter l’illusion du confort des structures officielles, et surtout, nous sommes… heureux !

Stratégies par Olivier Aubert

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