Le Monde – Rendez-vous raté avec le banquier

19 LCL

C’est une petite agence bancaire, sur une rue parisienne très commerçante. Ce vendredi de mauvais temps, la porte ne cesse de s’ouvrir et de se refermer. Dans l’étroit sas aux murs beiges se serrent cinq personnes devant des automates. Ils attendent pour retirer des espèces, déposer un chèque, imprimer leur relevé de compte… Derrière eux, Julie (son prénom a été changé) attend aussi. Elle est chargée d’accueil. Assise à un grand comptoir, elle fait tourner son stylo entre ses doigts. « Bien sûr qu’on entend des bruits comme quoi il y a de moins en moins besoin de nous », confie-t-elle.

Demander un renseignement, discuter avec un conseiller, encaisser des chèques : les Français n’ont plus le réflexe de se rendre en agence. En 2010, ils étaient 52 % à y aller plusieurs fois par mois. Ils ne sont plus que 21 % en 2015, d’après l’observatoire annuel de la Fédération bancaire française. « Dans les années 1970, l’agence était le lieu unique où le client faisait l’ensemble de ses transactions et venait demander du conseil », rappelle Axel Reinaud, associé au cabinet Boston Consulting Group (BCG).

Progressivement, les banques ont habitués les clients à faire leurs transactions à l’extérieur. Sur les automates, d’abord. Les Français jouissent d’un parc de 58 640 distributeurs, – dans la moyenne européenne -, qui a doublé en dix ans. « On a mis les clients dehors ! », tempête Sébastien Busiris, secrétaire général de FO-Banques. Une manière, certains rétorqueront, de satisfaire les attentes. Les banques investissent dans des espaces libre-service où des automates sont accessibles 7 jours sur 7. La Société Générale veut en créer 550, pour qu’une agence sur trois en dispose d’ici à 2020.

A cela est venue s’ajouter la révolution de la gestion de comptes sur Internet, puis sur smartphone. Conséquence : « Alors que le nombre de transactions a explosé, les déplacements en agence ont diminué », constate Axel Reinaud.

Dès lors, les 37 623 agences que comptait la France fin 2014 sont-elles toujours pertinentes ? Pas vraiment, si l’on en croit le mouvement de fermetures amorcé depuis quelques années. En 2015, le Crédit Agricole a fermé 50 de ses 325 agences en Ile-de-France. BNP a réduit son réseau de plus de 10% depuis 2012, de sources syndicales. La Société Générale va fermer 400 agences d’ici à 2020, réduisant son réseau en moyenne de 20% – cette part monte à 25% dans les grands centres urbains. Premiers affectés, les chargés d’accueil – qui aident les clients pour leurs opérations simples – sont en voie de disparition. Il n’y en a déjà plus dans la moitié des agences LCL, qui veut encore en diminuer le nombre d’ici ) 2018 grâce aux départs à la retraite et aux promotions internes. Désormais, les employés des agences se partagent l’accueil.

Exigence de rapidité

Même les conseillers, plus qualifiés, sont mis au défi. Selon une étude du cabinet Deloitte, près d’un tiers des Français estiment en savoir plus que leur responsable de compte sur la gestion de leur budget. Le nombre de rendez-vous physiques avec les conseillers chute de « 10% sur une année pour certains réseaux », note Xavier Guizien, associé chez Exton Consulting. A la Société Générale des Champs-Elysées, le directeur, Idris Hedaraly, constate « depuis trois ans une fréquentation en baisse de 15% à 20% de la clientèle haut de gamme, liée à l’utilisation des nouveaux outils digitaux. (…) Avant, les clients prenaient d’abord un rendez-vous pour s’informer, maintenant on passe directement à celui de confirmation puis de concrétisation ». Les conseillers doivent donc monter en gamme et se spécialiser par produit (assurance-vie, crédit immobilier…). « Les clients souhaitent davantage être assistés que conseillés. Ils sont arrogants, exigeants et ne pardonnent aucun écart dans le service ! », désespère un employé dans le cadre d’un sondage Opinion Way effectué pour Kea & Partners le 24 novembre, auprès de 820 salariés du secteur. Pour 47% des personnes interrogées, la relation avec le client s’est détériorée ces dernières années. Plus de la moitié des employés sondés ont peur du nouvel environnement auquel est confrontée leur banque. Ils craignent de perdre leur emploi, d’être dépassés et inutiles, et se plaignent de la pression commerciale de la hiérarchie.

Si le digital a réduit la paperasserie et la charge administrative des conseillers, il a aussi accentué l’exigence de rapidité des clients et l’impression de lenteur de l’agence. « Le client vous envoie un mail, une heure après il téléphone pour dire : « Vous avez bien reçu mon mail? » Pour peu qu’il l’envoie le samedi, l’agence est fermée le lundi, mardi il vous reproche de ne pas avoir répondu en disant : « Je vous ai écrit il y a trois jours » », dit Jean-Marc Weckner, délégué syndical à la Banque Populaire.

Une impatience nourrie par la répartition des rôles entre Web et agences physiques. Aux applications sur smartphones, la gestion quotidienne des comptes ; aux agences, le traitement des demandes complexes, « qui donnent lieu à une suite d’allers-retours entre le client et les front-office et back-office », observe M. Reinaud, du BCG. Les banques veulent, à terme, numériser aussi les produits plus complexes. Les clients de la Société Générale pourront bientôt souscrire un crédit à la consommation « entièrement online », se félicite Laurent Goutard, directeur de la banque de détail en France. Objectif : que cela soit possible pour tous les produits en 2020.

Que restera-t-il, alors, des bonnes vieilles agences ? Pas grand-chose. Des centres mutualisés, comme l’explique un directeur de réseau : « Si je ne vais plus qu’une fois par trimestre dans mon agence, je suis prêt à faire 500 mètres de plus en ville, 5 kilomètres en province. » Un moyen pour les établissements de faire baisser les coûts de l’immobilier et de personnel. Car, lors d’une fusion, la somme du nombre d’employés n’est pas toujours mathématique. Plusieurs responsables citent la formule « 4+4 donne 6 »

Ces futures « super-agences », les banques espèrent en faire des « flasgships », des vitrines rassurantes pour les clients. Les passants qui descendent l’avenue des Champs-Elysées voient « que l’agence Société Générale est neuve, belle, grande, il y a quatre distributeurs dehors. Elle n’a pas fermé les robinets », affirme Idris Hedaraly.

Le 25 novembre, LCL a inauguré en grande pompe le « 19 LCL », fruit de la rénovation de son siège boulevard des Italiens, à 300 mètres du « 2 Opéra » de BNP. Enthousiaste, le directeur de l’agence, Pierre-Paul Cochet, espère que des clients des petites agences LCL du quartier voudront transférer leurs comptes dans le nouveau « flagship », « plus cool ». Leurs conseillers n’ont plus qu’à suivre.

Malgré la désaffection, les agences rurales restent ouvertes

En milieu rural, les banques maintiennent leur réseau, malgré la baisse de fréquentation. Car des clients qui se retrouveraient soudain contraints de faire 15 minutes de voiture pour se rendre dans leur agence pourraient être tentés de changer de banque. « C’est un compromis : la banque garde un local, en sachant que l’agence sera vide la majorité du temps », confie un expert préférant rester anonyme.

A Nay (Pyrénées-Atlantiques), village de 3 500 habitants, on trouve sept agences bancaires dans un rayon de moins de 500 mètres. « Même des banques espagnoles ont voulu s’installer », raconte le maire, Guy Chabrot (PRG), qui s’en félicite. « Cela participe à la dynamique commerciale. Les gens qui viennent à la banque se garent et continuent sur place. Mieux vaut avoir une banque qu’un magasin fermé. »

Du coup, les conseillers peuvent couvrir deux voire trois agences, ouvertes seulement certains jours, sur rendez-vous. Les conseillers inoccupés peuvent aussi traiter des activités de back-office, de centre d’appel. Ainsi, « les agences rurales ne sont pas nécessairement les moins rentables. Elles peuvent fonctionner sur des formats allégés et drainent des clients sur des kilomètres à la ronde », souligne Axel Reinaud, associé au cabinet de conseil Boston Consulting Group.

Onze agences sur 500 mètres 

Certains formats sont moins concluants. En Alsace, des Banques Populaires viennent de rouvrir l’accueil en après-midi, qu’elles avaient supprimé en 2014. « Imaginez une grille fermée et derrière, vous voyez des conseillers qui travaillent. Forcément, vous sonnez, et ils viennent. », explique Jean-Marc Weckner, délégué national au sein du Syndicat national de la banque et du crédit.

A Crépy-enValois (Oise, 15 000 habitants), onze agences se succèdent sur 500 mètres. « Ce ne sont pas elles qui font du lien social. Beaucoup d’habitants préféreraient voir des commerces locaux », estime le maire, Burno Fortier (divers). Il y a quelques années, une douzième banque a voulu venir, profitant du départ en retraite d’un photographe installé sur la place du village. « On a eu la peur de notre vie. La banque lui a fait des pont d’or pour reprendre son emplacement. On a tout fait pour avertir les autres commerçants intéressés, afin qu’ils augmentent leur offre d’achat ; on a demandé au photographe de faire un effort et de baisser son prix » Finalement, c’est une agence immobilière qui a repris l’emplacement.

Le Monde par Jade Grandin de L’Eprevier – Voir l’article en ligne

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