Personnages ou concepts récurrents augmenteraient l’efficacité des messages publicitaires selon les spécialistes de la communication. Une recette reprise par bon nombre de marques.
Sur une plage de rêve, un sauveteur envoie ses coéquipiers au large pour rester seul avec une belle surfeuse et partager… un fromage. Avec son nouveau film publicitaire sur nos écrans depuis lundi dernier, Caprice des dieux (Bongrain) revient à ses basiques : un homme, une femme, des gêneurs écartés. La recette fonctionne depuis 1985. En 1988, la marque faisait appel à Gérard Jugnot pour la réalisation, en 1991 à Patrice Leconte. « Pour cette nouvelle campagne, nous avons d’abord voulu tout changer mais nous avons vite compris que c’était une folie », explique Ivan de Villers, directeur marketing et export de Bongrain.
Le double effet Kiss Cool
En effet, « les sagas, c’est-à-dire un concept, une narration ou un personnage qui se répète, sont les publicités les plus efficaces, une martingale ! » selon Olivier Aubert, directeur de l’agence Aubert et Storch et spécialiste de ces campagnes qui durent (Galeries Lafayette, Maaf, MMA, etc.). D’une part, les Français qui sont exposés à un millier de pubs par jour, imprimeront plus facilement le message s’il est répété ; d’autre part, nos compatriotes devenus publiphobes aiment se retrouver en terrain familier sur le modèle du succès des séries télé. Ainsi, le râleur de la Maaf inventé par Jean-Michel Ribes pour la série « Palace » sur Canal + squatte nos écrans depuis 2004 avec son univers kitch. Résultat, en 2005, la Maaf est sacrée « campagne préférée des Français ». Et l’année dernière, son taux de mémorisation publicitaire était bien plus important que celui de la Société générale (respectivement 16,72 % et 3,83 %) avec un budget pourtant bien inférieur.
Les sagas collent tellement aux marques qu’il est parfois très difficile de se renouveler. Olivier Aubert a piloté celle de Don Patillo, le curé de Panzani, chez Havas dans les années 1970 à 1990. Et depuis 2008, il gère de nouveau le budget Panzani. C’est Antoine Riboud, PDG de Danone, alors propriétaire de la marque, qui a servi de protecteur au fameux ecclésiastique. Conscient de la puissance du personnage, il répétait souvent : « Moi vivant, on ne tuera pas notre curé », se souvient Olivier Aubert. Finalement en 1998, il passe la main et le nouveau propriétaire, Paribas Affaires industrielles, fait exécuter Don Patillo par des mafieux siciliens qui le font bouillir dans une marmite. La marque ne retrouvera plus la même notoriété.
Autre modèle : la saga sans personnage. Comme celle du double effet Kiss Cool qui a fonctionné pendant dix ans sur l’absurde. Le concept est présent dès le premier film, en 1988. L’agence de la marque, Ecom Partenaire, montre Eve au paradis avalant un Kiss Cool pour se rafraîchir (c’est le premier effet), puis partant au bras d’un gorille en laissant Adam en plan (le deuxième effet). Le deuxième effet est purement gratuit et ne correspond à aucune réalité. A l’époque, la création publicitaire française n’avait pas l’habitude d’aller si loin dans l’absurde. Pas de décor ou de personnage récurrent cette fois mais une structure narrative qui fait qu’on attend le prochain épisode avec impatience…
Rémy Babinet, directeur de l’agence BETC, a initié la campagne zen Air France en 1999, « Faire du ciel le plus bel endroit de la Terre ». « Même si nous conservons les mêmes valeurs, la même signature graphique — un avion ou un élément significatif comme une traînée blanche dans le ciel, un numéro de siège —, ces campagnes longue durée ont besoin de nouveauté à chaque fois sinon les consommateurs décrochent. »
En publicité, la saga ne se décrète pas. Tous les publicitaires espèrent toucher ce graal. Si le succès n’est pas immédiat, la campagne ne pourra pas durer. « La structure du secteur est un autre obstacle, complète Caroline de Montety, maître de conférences au Celsa (Paris-Sorbonne). Chaque nouveau directeur artistique côté annonceur, comme chaque agence qui reprend un budget veut imprimer sa marque. Les uns comme les autres ont besoin de changement. »
Mais attention, la force de la saga peut parfois devenir sa faiblesse. C’est le cas de la série Monsieur Marie portée par Jean-Claude Dreyfus qui a déboulé dans les cuisines en 1986. Jusqu’en 2001, l’acteur a endossé le smoking de Monsieur Marie avant d’être remplacé par la « brigade du bien-manger » et les personnages de BD de la blogueuse Pénélope Bagieu. Seulement ceux-ci ont été complètement éclipsés par le souvenir du trépidant Monsieur Marie. L’an passé, la marque a donc décidé de faire revenir le héros une ultime fois afin d’organiser sa disparition le 15 avril dernier sur ces mots : « Français, Françaises, je n’ai plus le courage et les femmes ont pris le pouvoir. Au revoir, adieu, hasta luego. »
Les webséries prennent le relais
Sur Facebook, les quelque 320 000 fans de Caprice des dieux, surtout des consommatrices, peuvent s’approprier Guillaume, le beau sauveteur, en le postant sur leur propre page. Malin !
De son côté, la Maaf a organisé dans la lignée de son univers publicitaire « le championnat du monde des râleurs », soit un concours de vidéos postées en 2010 sur le site YouTube. La deuxième édition avait été diffusée à la télévision sur Direct 8. D’autres marques vont plus loin et se sont emparées de l’Internet pour développer leur feuilleton avec des webséries. La marque Eram par exemple vient de lancer « Ce qui fait marcher les filles » (Havas 360) diffusé sur Dailymotion. Chez Bouygues Télécom, la famille Dumas a d’abord fait le buzz en 12 épisodes sur le Net. La société de production les Télécréateurs avait concocté un format très court sur le modèle de la série « Bref » pour Canal +. Une influence revendiquée par l’agence qui a choisi de ne pas trop faire apparaître la marque pour ne pas gâcher le spectacle. Résultat, 80 000 visionnages en soixante-douze heures, plus de 11 millions de vues en tout. Surfant sur ce succès, Bouygues Télécom a proposé aux internautes de partager leurs anecdotes pour un concours.
La websérie serait la forme ultime de la saga publicitaire avec un nouveau rapport de fidélisation entre marque et consommateurs. Le fabricant de déodorant Old Spice l’a parfaitement compris à travers sa campagne « The man your man could smell like », dans laquelle les spots sont tournés quasi en temps réel en répondant aux commentaires des internautes.
Le Parisien Economie par Emilie Torgemen