Le client râleur de la MAAF est entré dans la légende. Au point d’avoir amené gloire et notoriété à son interprète, Marcel Philippot, candidat à la présidentielle de 2007.
« Je suis dégoûté des gens et du monde de la publicité… » En 2004, la première fois qu’Anne Storch et Olivier Aubert franchissent la porte du metteur en scène Jean-Michel Ribes, l’accueil est glacial. Mais la coprésidente de l’agence de publicité Aubert & Storch insiste : elle garde à l’esprit l’une des scènes cultes de « Palace », une série conçue en 1988 pour Canal+ par le directeur du théâtre du Rond-Point. Un client pénible, obsessionnel, aux frontières de l’hystérie, revient inlassablement à la charge pour « coincer » le patron de l’hôtel en lui faisant avouer son incompétence : « Appelez-moi le directeur ! », s’égosille-t-il.
Mais le directeur, interprété par l’acteur Philippe Khorsand (disparu en 2008) parvient toujours à faire taire le râleur, à l’aide d’arguments capillo-cryptés… Une « chiure » de mouette, qui tombe dans l’oeil de son client alors qu’il est allongé dans sa chambre ? « C’est normal, répond sans ciller Philippe Khorsand. Nous sommes en Bretagne… » Et le client interprété par Marcel Philippot, un pilier du « Petit Théâtre de Bouvard », de serrer les poings : « Je l’aurais ! Je l’aurais ! »
Anne Storch rêve alors de parodier le sketch pour l’un de ses principaux budgets, la mutuelle d’assurance MAAF. Olivier Aubert, qui préside Aubert & Storch aux côtés d’Anne Storch, n’est pas en reste : « C’était le « twist publicitaire » parfait, un merveilleux « torture-test » ! Comme dans « Palace », le client de la MAAF se plaindrait sans cesse au directeur de l’agence mais ne parviendrait jamais à le prendre en défaut ! » Encore faut-il convaincre Jean-Michel Ribes et Marcel Philippot, l’interprète du client râleur. « J’avais réalisé pas mal de campagnes et la publicité m’avait laissé un mauvais souvenir, confie Jean-Michel Ribes (1). Le réalisateur n’était là que pour servir d’alibi alors que, en réalité, on ne s’occupait que des acteurs… Or j’aime bien apporter ma créativité dans ce que je fais. »
Finalement, il pose ses conditions, convaincu qu’elles seront refusées : « Le même réalisateur, les mêmes acteurs, le même chorégraphe, le même costumier… », se souvient Marcel Philippot, qui dit tout de suite oui quand il apprend que les conditions de Ribes sont acceptées et que son copain Philippe Khorsand sera de la fête… Tout est conservé à l’identique jusqu’au hall grandiose de « Palace ». Seul le générique initial n’a pas été repris, faisant place à un tube de 1986 de Caroline Loeb – « C’est la ouate » -devenu « Efficace et pas chère, c’est la MAAF que je préfère… » Quant à Marcel Philippot, il reprend ses lunettes, son costume blanc, sa chemise rayée. La nouvelle icône de la MAAF est sur les rails… De 2004 à 2012, le râleur ne va pas cesser de râler. Le microcosme publicitaire fronce le nez : trop populaire. Pas assez créatif. Mais le grand public adore le cri de guerre de Philippot – « Appelez-moi le directeur ! » – et en redemande (pour un cachet confidentiel « confortable » ). Résultat : en 2005, la MAAF est sacrée « campagne préférée des Français ». Entre 2004 et 2012, la MAAF passe de 3 à 4 millions de clients.
« C’est de l’entertainment »
L’association « tube série culte » ainsi que le (gros) budget d’achat d’espace de la mutuelle (25 millions d’euros) expliquent une partie du succès. Mais l’appropriation de l’univers kitsch de « Palace », avec l’outrance de ses personnages, joue – aussi -un rôle moteur. Ce n’est plus de la publicité, c’est de « l’entertainment ». Même le client ne râle pas comme un client ordinaire : « Nous ne voulions pas d’un personnage casse-pieds à la Dupont Lajoie, d’un Français moyen, un peu parigot, qui se plaindrait tout le temps, indique Olivier Aubert. Au contraire, on a pris un type assez précieux, paranoïaque… » Marcel Philippot, lui, est ravi d’interpréter le trouble-fête, même si modeste, il minimise la complexité de la tâche : « Il ne s’agit pas d’un rôle exceptionnellement dur ! Ce n’est ni Alceste ni Don Juan. C’est simplement un brave « con », un peu prétentieux, habitué aux palaces. Tout notre travail est de jouer la comédie. On met les mots de « Palace », on joue avec le même délire…»
En 2007, son personnage de râleur impénitent est devenu si populaire que l’interprète de « La Dame de chez Maxim’s » décide, pour rire, de se présenter à l’élection présidentielle. Sur les marchés, on l’encourage. Karl Zéro l’interviewe pour « Le Vrai Journal ». La gloire rattrape cet ancien des « Brèves de comptoir ». Au point, murmure-t-on, qu’il finit par prendre sa candidature au sérieux. L’acteur en rit : « C’était un gag ! Ma mégalomanie n’allait pas jusque-là ! » La preuve : aucune photo, chez lui, de son personnage de la MAAF : « Je ne garde pas de trace de mes crimes », confie-t-il.
(1) « My Brand Story », 5 janvier 2012
Les Echos par Véronique Richebois