En 2010, en pleine crise financière, alors que son mari, Eric Cantona, appelle les Français à un retrait massif de leur épargne lors d’une journée bank run, l’actrice Rachida Brakni n’imagine pas qu’on lui reprochera d’avoir tourné, des années plus tôt, un spot publicitaire pour la banque LCL.
Trente secondes filmées en plan-séquence par le metteur en scène Jean-Michel Ribes, au cours desquelles Rachida Brakni se voit proposer un prêt immobilier par Pierre Arditi, voix off incarnant le banquier de LCL. Haussements de sourcils, sourire en coin, la femme d’affaires qu’elle interprète ne croit pas aux avantages énumérés, avant de se laisser convaincre.
De 2005 à 2013, une soixantaine d’acteurs ont participé à la campagne de LCL, de Lambert Wilson à Victoria Abril, de Julie Gayet à Muriel Robin, selon le même principe : quelques secondes filmées en gros plan, dans lesquelles ils jouent les clients de LCL et multiplient les mimiques sur fond de voix d’Arditi.
OUBLIER L’AFFAIRE TAPIE – CRÉDIT LYONNAIS
« Avec ses codes – la voix off, l’arrière-fond, le bandeau bleu –, cette campagne était immédiatement reconnaissable », explique Olivier Aubert, cofondateur de l’agence publicitaire Aubert-Storch, qui pilote l’image de la marque LCL depuis 2005. Sans être très originale, cette série de publicités avait pour mission de faire connaître le nom de LCL, tout en tournant la page de l’affaire Tapie-Crédit lyonnais. « Tous les comédiens ont touché le même cachet, et la plupart ont accepté parce que l’exercice de style leur plaisait. »
Le spot avec Rachida Brakni a été diffusé sur les chaînes de télévision une première fois en 2007, puis au printemps 2010, quelques mois avant que son mari, Eric Cantona, incite, le 6 octobre, sur le site de Presse Océan, les Français à retirer leur épargne des banques. « Le système tourne autour des banques (…) Pour que tout s’écroule, tu vas dans ta banque et tu retires ton argent. » Le « bankrunday » est fixé par des internautes au 7 décembre, le temps de faire monter le buzz, suscitant des dizaines d’articles dans les journaux français et étrangers sur ce coup d’éclat du « King Eric ».
Début décembre, la date approchant, les responsables politiques de tous bords sont contraints de réagir. Martine Aubry, première secrétaire du Parti socialiste , note que Cantona « marquerait vraiment un but contre son camp, contre la France, contre nous tous, si son appel était suivi ». La ministre de l’économie, Christine Lagarde, renvoie la balle : « Chacun son métier. Il y en a qui jouent magnifiquement au football , je ne m’y risquerais pas. » Puis Roselyne Bachelot, alors ministre des solidarités et de la cohésion sociale, enfonce le clou au micro de France Info : Eric Cantona « fait de la publicité pour des voitures, des rasoirs. Son épouse fait de la publicité pour un système bancaire. Il faut avoir un peu de responsabilité dans la vie quand on est justement un des chantres de la société de consommation ».
CHACUN SES CHOIX DANS LE COUPLE CANTONA
Jusqu’alors, peu de personnes ont fait le lien entre la participation de Rachida Brakni à la campagne de LCL et l’appel de Cantona. Ce n’est que dans les dernières heures avant le « bankrundday » que la publicité refait surface sur le Net, suscitant des sarcasmes. Une femme doit-elle endosser les prises de position de son mari ? Rachida Brakni riposte habilement en faisant glisser la polémique sur le terrain du féminisme. « Dans notre société, la femme est-elle inféodée au point qu’on lui prête toutes les pensées de son époux ? Dispose-t-elle de son libre arbitre ? Au vu de vos déclarations, je m’interroge », écrit-elle dans une tribune publiée dans Libération, en réponse à Roselyne Bachelot.
Sollicitée par des journalistes, LCL reprend d’ailleurs les arguments de la comédienne : « Chacun fait ses choix dans le couple Cantona. Si son épouse a prêté son image à une publicité pour LCL, c’est son histoire. » Mais la banque a finalement peu d’efforts à fournir pour assurer sa « com », car la révolution bancaire prédite par « Canto » n’a pas lieu. Devant les guichets de la BNP Paribas d’Albert, dans la Somme, d’où Eric Cantona a fait savoir qu’il retirerait 1 500 euros, les caméras de télévision sont présentes en nombre mais l’ex-footballeur est invisible. Partout dans l’Hexagone, les agences bancaires tiennent le même discours : il n’y a eu aucun mouvement de retrait inhabituel ce jour-là. « La révolution, c’est pas compliqué », avait pourtant promis Cantona.
LCL ET GAD ELMALEH
Aujourd’hui, LCL répète que le « bankrunday » de Cantona et la mise en cause de Rachida Brakni étaient un « non-sujet », d’autant que « le spot ne passait plus depuis des mois ». Pour Olivier Aubert, « c’est surtout Cantona qui a été mis face à ses contradictions. Il a fait son coup de com en sachant que sa femme avait tourné cette pub. Mais nous n’avons aucun regret d’avoir fait appel à Rachida Brakni. Nous l’avions choisie pour sa personnalité, celle d’une femme de tête, qui correspond à son personnage dans le spot. »
Reste qu’avec Twitter et les réseaux sociaux, faire appel à des personnalités pour incarner une marque est plus risqué. « Il y a une telle porosité entre vie privée et vie publique qu’il faut tenir compte du fait que l’image privée de la star peut interférer avec le message publicitaire », explique Sébastien Genty, directeur de la stratégie à l’agence DDB Paris.
LCL en a fait les frais en lançant en début d’année une campagne publicitaire incarnée par Gad Elmaleh. Dans une parodie de one-man-show, le comique déclame de (mauvaises) vannes sur ses « rêves de banquier idéal » devant un public artificiellement hilare. Le clip a suscité sur Internet un déferlement de critiques et un flot de commentaires acerbes sur les liens personnels entre l’acteur et le rocher de Monaco . « Parce qu’il a du succès, Gad Elmaleh n’est pas apprécié de tous », s’est défendu LCL, qui assure avoir fait quelques ajustements en cours de campagne dans la tonalité du clip. « Le ton humoristique n’avait pas été compris par tous », se justifie la banque. Après quelques mois de diffusion, l’humour du clip n’est guère mieux compris, mais, selon un adage bien connu des publicitaires, mieux vaut provoquer l’agacement que l’indifférence.
Le Monde par Mathilde Gérard