Pub : pourquoi la rémunération des agences est si faible ?
Entre 2008 et 2012, la rémunération des agences publicitaires a globalement baissé de 7,8 %.
La perte de revenu cumulé frise les 100 millions d’euros.
Avec la montée en puissance de la publicité sur Internet et la complexité des dispositifs Web à mettre en oeuvre (création d’un site, d’applications…), le serpent de mer de la rémunération des agences resurgit. Les publicitaires se plaignent de plus en plus ouvertement d’un système largement fondé sur une rémunération calculée au temps passé, faisant l’impasse sur la monétisation de la création de valeur. Et, ce faisant, « zappant » les droits intellectuels attachés au slogan ou à la rediffusion des campagnes. Contestant la méthode de calcul, les agences se dressent contre le montant de plus en plus faible de leur rémunération, qui freine leurs capacités d’investissement et d’embauche.
Les chiffres sont parlants : « En l’espace de quatre ans, entre 2008 et 2012, la rémunération des agences a baissé de 7,8 %, occasionnant une perte de revenu cumulé de 96 millions d’euros, soit un montant plus important que la marge brute de la plus grosse agence française. A un moment donné, ce déséquilibre se traduira soit par un mauvais service global, soit par des défaillances d’entreprises », avertit Vincent Leclabart, président de l’AACC (Association des agences conseil en communication). Passage en revue des causes d’une telle baisse.
La réglementation
La loi Sapin, adoptée en 1993 dans un souci de moralisation du marché, a mis fin au double système de rémunération des agences qui étaient fréquemment payées sur le conseil publicitaire (de façon parfois minorée) et, en second lieu, rétribuées sur l’achat d’espace (généreusement) négocié auprès des médias pour le compte de l’annonceur. Ces commissions supprimées, ne demeure plus que la rémunération sur le conseil. Or, les agences avaient accepté de la réduire (parfois pour la ramener entre 4 % et 7 % contre les 15 % traditionnels) pour mieux « marger » sur l’achat médias. Certaines ont perdu ainsi, avec l’adoption de la loi, entre 30 % et 40 % de leur revenu. Selon Vincent Leclabart (AACC), l’abcès n’est pas vidé pour autant : « La publicité continue de souffrir d’une image remontant aux années 1980 et devenue obsolète. Or, on sent, chez bon nombre d’annonceurs, un esprit de revanche qui n’est pas totalement assouvi. Le pays a besoin d’agences fortes. »
De nouveaux interlocuteurs
Depuis le début de 2000, les annonceurs serrent de plus en plus les boulons. Aujourd’hui, ce ne sont plus les directeurs marketing mais les responsables des achats, traditionnellement en charge des relations avec les fournisseurs, qui, dans 80 % des cas, négocient désormais seuls le montant de la facture.
La généralisation des honoraires
Le paiement aux honoraires (autrement dit au temps passé) s’est généralisé à compter des années 2000, avec un modus operandi souvent identique : « On discute d’abord du nombre d’équipes qui seront dédiées à la campagne, puis du temps qu’elles vont y passer. On intégrera ainsi, par exemple, le fait qu’un chef de pub, payé 2.500 euros, y passera 80 % de son travail, détaille Pascal Grégoire, coprésident de l’agence La Chose . Ensuite est appliqué un multiplicateur, entre 2,2 et 2,7, aux frais généraux (location des locaux…). Au final, la marge de l’agence excède rarement l’équivalent de 10 % des ex-budgets d’achat d’espace alors que la norme était plutôt d’environ 15 %. » De son côté, Olivier Aubert, président d’Aubert & Storch, estime : « Les deux modes actuels de rémunération sont dépassés : nous payer en fonction de l’achat d’espace est devenu obsolète, à l’heure des nouveaux écrans, du buzz et du Web, c’est-à-dire à un moment où les internautes sont eux-mêmes les producteurs de la pub. Mais inversement, les rémunérations liées au temps passé sont absurdes car une bonne idée créative vient souvent en quelques secondes.» Et Eric Delannoy, président de WNP (ex-Talents Only), d’ajouter : « Les agences ont commis une énorme erreur en acceptant d’être rémunérées au temps passé. Désormais, il est quasiment impossible de revenir en arrière. »
L’arrivée de nouveaux concurrents
La concurrence de nouveaux entrants, comme les SSII ou les grands cabinets de conseil comme Deloitte ou PwC, travaillant sur les datas ou les dispositifs CRM, s’est durcie depuis son apparition dans les années 2000. « Les annonceurs les rémunèrent très cher, car ils achètent une caution, souligne Luc Laurentin, président de Limelight, un cabinet qui conseille les agences sur leurs relations avec les annonceurs. Mais, dans le même temps, ils nous disent : « Nous sommes conscients que nous ne payons pas bien les agences, mais ce sont à elles de nous démontrer leur apport en termes de création de valeur. » »
Les Echos par Véronique Richebois