Les Echos – Les pionniers de l’Agence Virtuelle

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Créée il y a dix ans, l’agence qui gère la publicité des Galeries Lafayette, de MAAF et MMA, a fait le pari, réussi, de ne travailler qu’avec des créateurs.

10 heures, 11 janvier. « Un sac rouge ? Oui, mais quel type de rouge ? Il ne faut pas que ça banalise le visuel… Et on associe ça avec quoi à l’intérieur ? Du blanc ? Du noir ? » La réunion se tient dans la petite maison blanche du directeur artistique Jean-Paul Goude, nichée dans les hauteurs chahutées de la Butte, autour d’une table basse qu’encadrent deux autres interlocuteurs, Olivier Aubert et Anne Storch. Tous trois discutent de la mise en scène des fameux 3 J des Galeries Lafayette… et du sac emblématique à concevoir.

Depuis mars 2001, les deux managers de l’Agence Virtuelle et l’inventeur du célèbre défilé du bicentenaire et autres « kodakettes » travaillent en équipe « légère » sur la saga de la célèbre enseigne. Jusqu’en décembre 2004, Publicis cogérait le compte avec l’Agence Virtuelle. Mais à l’issue d’une compétition intervenue à l’été 2004, cette petite agence de moins de dix personnes est désormais seule aux commandes du budget, estimé à 15 millions d’euros.

Le patronyme de la structure ne dit pas grand-chose à grand monde dans la profession. Bien peu savent qu’elle est à l’origine, outre des 80 affiches des Galeries Lafayette, des 35 films pour les produits financiers de La Poste (« Y a pas écrit La Poste »), des sketchs pour MMA (« Zéro bla-bla, zéro tracas »), du remake délibérément kitsch de l’émission « Palace » pour la MAAF (« Efficace et pas chère, c’est la MAAF que je préfère »), du film AG2R et enfin des créations pour le Crédit Agricole qu’elle conçoit pour l’agence FCB. C’est toutefois la « patte » de Bertrand Blier, Jean-Michel Ribbes et Philippe Geluck, Patrice Leconte, Patrick Bouchitey et Alain Corneau que l’on retrouve derrière ces créations.

Que du beau linge ! Car avec son inventivité et sa réactivité, l’Agence Virtuelle figure comme l’un des exemples les plus intrigants d’offre alternative sur un marché où les cabinets de consulting d’un côté et les agences médias de l’autre grignotent progressivement le territoire d’action des acteurs classiques. Pour ne plus leur abandonner que le rôle, limitatif, de « hot-shop » (petites structures) créatives.

Des circuits de décision courts

Créée en 1994 par deux anciens managers du groupe Havas, Olivier Aubert et Anne Storch, la structure a fait son apparition dans le berceau – favorable – de la crispation progressive des relations agences-annonceurs. Son concept est simple : des structures hiérarchiques courtes – trois associés-fondateurs, cinq collaborateurs – une logistique réduite au minimum via l’externalisation de l’ensemble des fonctions de services sur des partenaires indépendants (producteurs, studios d’exécution, agences médias…) et surtout, peu ou pas de « créatifs » salariés. En lieu et place, « des créateurs (réalisateurs, auteurs, illustrateurs, hommes de théâtre…) intégrés en amont du processus de conception », expliquent les deux fondateurs, qui annoncent 5,2 millions de marge brute pour 2004 et un résultat net autour de 1,5 million d’euros. « Le principe d’une agence virtuelle est d’assembler librement des compétences et des talents extérieurs, le temps d’un projet. Un peu comme pour la fabrication d’un long-métrage. »

Promus simultanément directeurs de création et directeurs artistique, les « créateurs » sont partants, assurés d’avoir les mains libres pour installer leur ton, leur univers. Sans être bousculés ou entravés par une foultitude d’intermédiaires. Jean-Paul Goude confirme : « Je retrouve le temps et la possibilité d’exercer mon métier de manière artisanale, d’une façon qui n’a rien à voir avec la suffisance et le cynisme de certaines agences, où l’on estime qu’il suffit d’être dans la séduction pour l’emporter. » Ce n’est pas le seul à estimer retrouver un espace de liberté, comme en atteste le producteur Alain Bernard, président de la société PAC (Chanel, Kodak, Evian, Perrier, MMA…) : « Dans le schéma classique des agences, le processus de sélection d’un producteur peut prendre trois semaines… et parfois même, ne déboucher sur rien. Là, l’annonceur décisionnaire et l’agence viennent me voir et on discute du projet. C’est moi qui ait proposé le nom de Bertrand Blier pour la campagne pour La Poste. Quarante-huit heures après, nous le rencontrions. Cinq jours après, nous avions le feu vert. Toute notre énergie, nous l’avons concentrée sur le film. »

Jacques Lenormand, ancien directeur général des services financiers de La Poste puis directeur général de MMA, confirme : « Je n’étais pas satisfait de la manière dont nous travaillions avec nos agences : nous butions sur trop de filtres. L’Agence Virtuelle offrait l’avantage de circuits de décision courts. La signature « Y a pas écrit La Poste » a été trouvée en trois heures, lors d’une réunion tenue entre Noël et le jour de l’An. »

A l’arrivée, des créations simples, populaires, codifiées, enjouées et facilement mémorisables. Les concurrents font la moue : « Ce sont des campagnes bon marché qui n’offrent pas de véritable statut aux marques », estime l’un d’entre eux. Mais les annonceurs semblent aux anges : les résultats sont au rendez-vous, qu’il s’agisse des scores d’attribution
des campagnes Galeries Lafayette, supérieurs en moyenne de 20 points aux taux standard avec 46 % de reconnaissance spontanée et 62 % de taux d’agrément fin 2003. Ou de ceux de la MAAF et de MMA, qui, fin novembre 2004, arrivaient respectivement, derrière AXA, à la deuxième et troisième place en termes de notoriété spontanée dans la catégorie sociétés d’assurance. « Avant le démarrage de la campagne, en 1999, nous perdions 1.000 clients par mois, relève Stéphane Daeshner, directeur de la communication de MMA, en 2004, nous en avons gagné 60.000. »

L’émergence d’un nouveau modèle d’agences créatives devrait générer dans son sillon une foultitude d’émules. Paradoxalement, les plus enthousiastes sont aussi les plus réservés : « Ce type de philosophie d’agence implique une grande implication de l’annonceur, ce qui n’est pas toujours réalisable », estime Jacques Lenormand, tandis qu’Alain
Bernard (la PAC) ajoute : « Cela dépend beaucoup des entreprises : chez France Télécom, par exemple, Thierry Breton ne dispose clairement pas de la disponibilité suffisante pour assister à toutes les réunions. De même, le système est difficilement applicable avec les budgets automobiles, alimentaire, ou de très grande distribution, où il s’agit de concevoir des spots radio ou des affiches tous les jours…» Agence créatives sur mesure et grosses structures ont encore beaucoup à apprendre avant de travailler de concert.

Les Echos par Véronique Richebois.

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