Gisele Bündchen, nouvelle égérie du n°5 de Chanel, se situe très loin de la sophistication associée à la marque.
Multipliant les collaborations avec des marques concurrentes, de plus en plus nombreuses, les égéries publicitaires sont en perte de vitesse.
Trop d’égéries tuent l’égérie. A force de croiser, dans tous les magazines féminins, le même visage, les mêmes sourcils carbone (Cara Delevingne), le même style bohème-chic (Charlotte Gainsbourg), le même corps musclé- aseptisé (Gisele Bündchen) pour un nombre exponentiel de marques concurrentes… le consommateur frôle la saturation. Et si, à force d’un usage excessif, l’image et l’impact de ces coûteuses égéries finissaient par devenir insignifiants ? L’étude que vient de réaliser BBDO Beau, filiale luxe de BBDO Paris, flirte d’assez près avec la cruauté du constat.
Certes, les égéries ont du bon. D’abord, elles font gagner du temps : qui ignore l’existence de la marque Nespresso qui s’est approprié l’élégance et la distanciation de George Clooney ? Second point fort, elles permettent de résoudre une équation insoluble : vendre du rêve, de l’impalpable, de la poussière d’étoiles… à un prix qui, lui, n’a rien d’évanescent. Ou, comme le décrypte Marie-Pierre Benitah, vice-présidente de BBDO Beau : « Le choix d’une égérie apparaît souvent comme la solution idéale pour la marque de luxe qui se doit d’entretenir à la fois la distance par l’inaccessibilité – pour maintenir le désir – et la proximité par la projection, pour vendre. »
Familière et inabordable
Mettre en avant une femme à équidistance de Greta Garbo et de la « girl next door ». Familière et inabordable. Exactement comme Charlotte Gainsbourg, à la fois émouvante et lointaine. En une dizaine d’années, l’actrice a endossé, sans sourciller, les habits successifs d’ambassadrice de Gérard Darel, puis de Balenciaga et enfin d’Yves Saint Laurent et de Louis Vuitton. « En outre, enchaîne Olivier Aubert, président d’Aubert & Storch (MAAF, LCL…), l’égérie a un effet starter incroyable ! » Et de pointer du doigt les résultats de la campagne LCL, où la présence de Gad Elmaleh largement commentée et critiquée sur les réseaux sociaux « a permis à la campagne LCL de passer de 23 % de taux de mémorisation auprès du grand public avant la participation de l’acteur à 31 % au terme de sa diffusion [source Sofres, NDLR] ». Le prix de cette performance ? « Beaucoup moins que les 100.000 euros annuels que nous dépensions jusqu’à présent en utilisant simultanément une brochette d’acteurs (Lambert Wilson, Muriel Robin…). »
Alors, pourquoi abandonner un si juteux filon ? Pour au moins trois raisons : « De plus en plus de marques y ont recours, quitte, comme Kristen Stewart, à passer de Balenciaga à Chanel, avant de signer chez Nike, brouillant les stratégies de différenciation des marques et les banalisant », reprend l’étude. Que les mannequins accèdent au rang de people aboutit par ailleurs à un flou : une Cara Delevingne choisie pour une campagne est-elle une égérie ou une simple face ? En clair, à une époque où l’on attend du top model qu’elle soit plus qu’un simple porte-manteau pour apporter une part de sa personnalité, comment gérer ses multiples collaborations ? Enfin, de plus en plus d’ambassadrices sont attribuées aux produits ou lignes d’une marque. Et à ce jeu-là, la notoriété internationale prime sur la cohérence. « Quitte, relève Vincent Grégoire, du cabinet de tendances NellyRodi, à ce que l’égérie s’éloigne de plus en plus de l’essence même de la marque. Nouvelle égérie de Chanel n°5 [pour 4,5 millions d’euros, murmure-t-on, NDLR], Gisele Bündchen se situe très loin de la sophistication d’une Coco Chanel : on l’imagine plus volontiers en sandales Havaianas qu’en escarpins et petite robe noire… »
Croissance exponentielle des égéries, multiplication de leurs apparitions, primauté du « coup » (Nabila chez Jean-Paul Gaultier, Brad Pitt pour Chanel n°5…) sur les campagnes de long terme… rien d’étonnant alors à ce que l’apparition d’un visage de star à côté d’une crème ou d’un sac ne créé plus automatiquement une adhésion immédiate. La solution ? « Utiliser l’égérie comme booster… et s’en défaire rapidement, tranche Olivier Aubert. Après autant d’années de collaboration, Nespresso aura du mal à se passer de George Clooney… Se contenter d’une égérie relève de la paresse : il faut impérativement lui associer un concept publicitaire. »
Les Echos par Véronique Richebois